La Religion dans les limites de la Raison

"Si on la compare aux autres ouvrages de Kant, surtout aux deux Critiques, la Religion dans les limites de la raison est assez peu connue. Il fut un temps où elle était négligée ou dédaignée, même par les disciples et admirateurs du maitre. Et pourtant elle est, suivant une expression de Kuno Fischer, la "conclusion" de toute la pensée kantienne; elle se relie très étroitement à la Critique de la raison pratique, et, par elle, à la Critique de la raison pure. A chaque page, elle suppose la doctrine de l'une et de l'autre; à chaque ligne, elle en emploie le langage, si caractéristique, si énigmatique souvent pour les non-initiés. Aussi le lecteur intelligent n'est-il pas peu étonné quand il rencontre dans la préface de la deuxième édition allemande (1794) cette remarque de l'auteur: "Il n'est besoin, pour comprendre ce livre, dans son contenu essentiel, que de la morale commune, et l'on n'a pas à s'embarquer dans la Critique de la raison pratique, pas plus que dans celle de la raison pure". Evidemment Kant a été victime ici d'une illusion qui, pour étrange qu'elle paraisse, s'explique psychologiquement: familiarisé de longue date avec les conceptions dont il était le père et avec la terminologie dans laquelle il les a incarnées, il a trop facilement jugé des autres d'après lui-même; il a été de bonne foi. Mais, en réalité, il est difficile de ne point partager l'avis de Storr, qui écrivait dès 1793: "Cet ouvrage n'offre aucun intérêt pour ceux qui ne connaissent pas et ne comprennent pas le système de Kant, pas plus qu'ils ne désirent le connaitre, et par suite il peut être considéré par eux comme non aveu". Seulement, aujourd'hui, la situation a changé, et l'attitude toute de dédain que semblent refléter les paroles de Storr ne serait plus de saison. Les idées de Kant se sont répandues et, qu'on les approuve ou non, il faut bien qu'on s'en occupe. Depuis un siècle, un grand fait nouveau s'est produit, et il serait puéril de prétendre n'en pas tenir compte. Voilà qui nous explique et justifie amplement le dessein de M. Tremesaygues de rendre une fois de plus l'oeuvre kantienne en notre langue et de la faire avec toute l'exactitude possible." Forget J. Emmanuel Kant, La religion dans les limites de la raison. Nouvelle traduction française avec notes et avant-propos, par A. Tremesaygues. In: Revue néo-scolastique de philosophie. 21e année, n° 83, 1914. pp. 365-369.